L’individu peut-il être qualifié d’acteur social ?

Pour que la qualification « d’acteur social » attribuée à chaque individu soit utilisée dans toute sa portée, Il faut pouvoir considérer que chacun participe d’une certaine façon à ce qui crée et transforme la société, et participe à l’évolution des structures sociales dans la durée historique de la succession des générations.
Cela ne va pas de soi. Chacun a bien conscience qu’il ou elle a peu de pouvoir, voire reste impuissant face à l’inexorable marche en avant de la société. Cela est corroboré sur le plan de l’analyse sociologique : les facteurs qui déterminent l’évolution de la société sont plutôt relationnels et collectifs que limités au périmètre de l’individualité : facteurs économiques, systèmes d’interactions, démographie, institutions, etc. Lorsqu’il est question d’acteurs, d’ailleurs, on note une ambivalence entre l’individu et les groupes, comme dans la définition usuelle suivante : « En sociologie, un acteur social est un individu, un groupe, une association ou une organisation qui intervient dans un espace social quelconque (économique, culturel, politique, etc.). Il agit de manière consciente, intentionnelle, rationnelle, pour défendre certains intérêts ou atteindre un objectif déterminé. Pour y parvenir, l’acteur social interagit avec les autres acteurs sociaux concernés. L’individu est le premier acteur social par les relations sociales qu’il crée et qui lui permettent de se construire lui-même. Une même personne peut être acteur social dans différents domaines de socialisation et y jouer plusieurs rôles. Exemples d’acteurs sociaux autres que les individus : les autorités publiques, les ONG, les associations caritatives, les associations locales, les organisations religieuses, les syndicats, les employeurs, les enseignants, etc. » (Site internet, définition La Toupie). Le mérite d’une telle définition est d’offrir une perspective large et diverse sur les catégories d’acteurs, et de mettre l’individu au centre des jeux d’acteurs. Mais
elle présente l’inconvénient de mettre dans le même ensemble des réalités sociales hétérogènes : l’individu, le groupe. En outre, la notion d’acteur collectif ne fait-elle pas impasse sur le rôle constitutif des individus membres dans le collectif auquel ils appartienent, sur la façon dont le groupe peut être façonné comme un acteur de second niveau depuis ces acteurs sociaux que seraient les individus membres ?
Si nous abordons ici la critique d’une telle définition, c’est qu’il n’y a pas, pour nous, d’autre acteur social que de l’intérieur du champ social, et l’individu, en tant que membre d’une famille, d’une entreprise, d’une association, d’un pays, est à la fois l’incarnation, le support élémentaire, général et universel de l’acteur social. Notre ambition, ici, est de remettre l’individu au centre des jeux d’acteurs. S’il se trouvait que ce fait soit avéré, que l’individu en chair et en os soit, de façon pleine et entière, l’acteur social, les collectifs institués ne seraient que les dispositifs de médiation qui interviennent dans le champ social sous l’empire des individus qui en sont les acteurs originaires et les constituants.
Le débat que nous proposons vise à dégager en quoi, comment, et à quel niveau des structures de la société, l’individu concret, telle ou telle personne, nommément identifiée, participe de façon proactive au changement social. Il s’agit de s’interroger sur les causes profondes d’évolution de la société et de chercher à repérer en quoi cette évolution sollicite l’individualité de l’agir humain.
La première piste que nous souhaitons suivre part des acquis théoriques sur l’influence de la société sur l’individu et sur le « bain social » dans lequel se construit et se déroule le parcours de vie de chacun.